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Philanthropie et démocratie – Observatoire de la Philanthropie – Décembre 2023

Publié le 19.03.2024

Quel lien entre philanthropie et démocratie ? Ce lien a-t-il connu des évolutions au fil des années ? Comment sécuriser l’apport démocratique de la philanthropie ? L’étude, rédigée par Nicolas Duvoux et Sylvain A. Lefèvre pour l’Observatoire de la Philanthropie, éclaire sur les enjeux philanthropiques du XXIème, sur les enjeux et perspectives pour les fondations à l’aune de ces questions.

Dans cette étude, rédigée par N. Duvoux et S. A. Lefèvre pour l’Observatoire de la Philanthropie de la Fondation de France, les auteurs s’intéressent au rôle des fondations, toutes formes confondues, au sein de nos sociétés. Ainsi, lorsque nous parlons de philanthropie nous faisons ici référence aux missions sociales des fondations.

Méthode : Pour cette étude, Nicolas Duvoux et Sylvain A. Lefèvre s’appuient sur des éléments théoriques afin d’éclairer le rapport entre démocratie et philanthropie. Le développement des auteurs est appuyé par différents exemples de fondations, américaine et française.

couverture étude philanthropie et démocratie

Quel lien entre philanthropie et démocratie ?

Dans un premier temps, les auteurs définissent la philanthropie à l’aide d’éléments historiques, en retraçant notamment l’histoire de la Fondation Rockefeller aux Etats-Unis. Ils étudient ensuite le rapport entre philanthropie et démocratie au XXIème siècle en se questionnant sur les réponses que les fondations peuvent apporter aux enjeux et crises de nos sociétés actuelles. Enfin, N. Duvoux et S. A. Lefèvre analysent les relations des fondations avec l’Etat et la société civile, et proposent des solutions pour démocratiser ces relations.

 

Premier constat : il existe une tension entre philanthropie et démocratie inhérente à leurs objets

N. Duvoux et S. A. Lefèvre rappellent la tension conceptuelle entre philanthropie et démocratie, la philanthropie étant liée à l’accumulation du capital (de la richesse, du patrimoine) par quelques individus quand la démocratie met elle en avant un principe d’égalité de tous et toutes. Ainsi, la philanthropie serait la conséquence d’une inégalité et donc de facto incompatible avec la démocratie. Par ailleurs, comme le soulignent Déplaude, Depecker et Larchet (2018), les pratiques philanthropiques sont également le moteur de cette accumulation du capital puisqu’elles permettent « (…) de convertir le capital monétaire en d’autres espèces de capitaux (social, culturel, scientifique, politique, etc.) nécessaires à la reproduction du capital (…).». Par ces mécanismes, la philanthropie serait incompatible avec la démocratie.

Néanmoins, cette première définition de la démocratie ne semble pas – ou peu – satisfaisante pour rendre compte de l’ensemble des enjeux autour de la question du lien entre philanthropie et démocratie. Les auteurs proposent donc de définir la démocratie comme « la participation de l’ensemble des populations à la définition du bien commun ». Cette définition ouvre de nouvelles pistes de réflexion : la philanthropie permet de redistribuer tout ou partie de cette richesse accumulée pour contribuer à l’intérêt général, elle transcende ainsi « l’intérêt particulier et [agit] pour le bien commun. ». En contribuant à la définition du bien commun, la philanthropie aurait donc ainsi un lien étroit avec la démocratie.

Mais quelle forme prend ce lien ?  Pour y répondre, les auteurs reprennent la distinction proposée par Rosanvallon (1992) entre démocratisation par la « raison » et par le « nombre ». La démocratisation de la société par la raison décrit une démocratisation qui s’opère par des groupes d’individus détenant des « capacités » leur permettant de définir le bien commun pour tous et toutes. A l’inverse, la démocratisation par le « nombre » renvoie à la participation de l’ensemble des citoyens à la définition du bien commun. Historiquement, la philanthropie semble exercer une démocratisation par la raison, puisque ce sont les élites, par le biais d’actions philanthropiques, qui définissent le bien commun. Néanmoins, à la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à la généralisation de l’enseignement public, cette distinction entre les élites philanthropiques et les citoyens s’amenuise, atténuant ainsi la tension entre démocratie et philanthropie.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Pour les auteurs, au XXIème siècle, la tension entre philanthropie et démocratie est ravivée pour plusieurs raisons. Ces raisons sont liées aux crises démocratiques que connaissent la France et d’autres démocraties occidentales, comme en atteste par exemple le vote du Brexit au Royaume-Uni ou encore l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique. Ces crises sont la conséquence d’une hausse des inégalités socio-économiques ayant accentuée le fossé entre les classes sociales privilégiées et les classes les plus défavorisées qui connaissent des difficultés croissantes (chômage, pauvreté, etc.). La particularité de la période que nous vivons réside également dans le fait que ces difficultés socio-économiques touchent un plus grand nombre d’individus, atteignant ainsi les classes moyennes. Le sentiment de déclassement vécu par celles-ci est renforcé par le sentiment d’être mal représentées dans les instances politiques, comme nous avons pu le voir en France lors du mouvement des gilets jaunes.

Cette double dynamique, à la fois de croissance des inégalités et de méfiance envers les institutions démocratiques, rend difficile les choix collectifs et cantonne les actions philanthropiques dans une logique de démocratisation par la raison consolidant l’opposition entre les classes sociales aisées et le reste de la population. Par ailleurs, cette opposition est renforcée du fait que le capital accumulé par les plus riches est de plus en plus le fait d’un héritage que le résultat du travail.

Mais alors quel est le rôle des fondations dans la société ? Sous quelles formes leurs activités contribuent-elles à la société ?

 

Second constat : les fondations ont une contribution sociale forte

N. Duvoux et S. A. Lefèvre rappellent que les fondations ont un apport important au sein des sociétés. Dans un premier temps parce qu’elles permettent de fournir des biens publics, et, contrairement à l’Etat, les causes qu’elles prennent en charge peuvent être justes sans être majoritaires au sein de la société (Horvarth, Powell : 2016). Ainsi, « l’indépendance conférée par la dotation en capital permet (…) de ‘poser des questions qui fâchent’ et d’ouvrir des débats publics qui, sinon, seraient ou resteraient fermés.». Ainsi, les fondations permettent la prise en charge de causes qui ne sont pas, ou pas au moment de l’action philanthropique, dans le giron de l’Etat.

Cette conceptualisation de l’apport des fondations dans les sociétés peut être approfondie par la distinction proposée par Horvarth et Powell (2016) entre deux modèles de philanthropie : le modèle contributif, où la philanthropie contribue à l’action publique par des moyens privés, et le modèle disruptif, où la philanthropie est un canal d’innovation. Pour les auteurs, ces deux modèles coexistent souvent au sein d’une seule et même structure. En ce sens, les actions des fondations sont intimement liées à la démocratie car elles permettent d’assurer à la fois la continuité de l’action publique mais aussi d’agir en complémentarité de celle-ci.

Enfin, pour les auteurs, les fondations ont un rôle central dans la démocratie d’équilibre telle que définie par Pierre Rosanvallon (2014). La démocratie d’équilibre est « l’ensemble des organisations qui organisent, concrètement, une société civile qui ne peut être pensée comme une somme de particules isolées. ». Si ce rôle des fondations n’apparaît pas de prime abord c’est en raison de la position particulière de celles-ci : elles agissent comme des tiers de confiance entre les donateurs et les associations. Ainsi, la philanthropie est en arrière-plan et donne aux associations les ressources pour agir.

Au vu du premier et du second constat, il paraît impératif de questionner comment démocratiser les fondations afin d’assurer la pérennité de leurs actions.

 

Troisième constat : il est possible de démocratiser les fondations

Les auteurs concluent leur rapport en proposant différentes voies de démocratisation des fondations. Ces propositions permettent de répondre aux différents enjeux soulevés tout au long du rapport.

Proposition 1 : Augmenter le nombre de dons ou partager le pouvoir de décision

Pour les auteurs, il est possible de démocratiser les actions philanthropiques à la fois par le nombre – en augmentant le nombre de dons – et par le contrôle collectif sur le don. En augmentant le nombre de dons, « les effets de domination inhérents à la relation philanthropique » sont limités. Néanmoins, cette massification des donateurs ne permet pas d’assurer une forme d’égalité. Ainsi, les auteurs proposent, comme Saunders-Hastings, de « renforcer les mécanismes de contrôle sur les choix des donateurs, en permettant par exemple d’élargir la ‘doctrine du cy-près’ qui permet d’adapter l’usage des dons reçus et ainsi attribuer une marge de manœuvre aux équipes des fondations sur l’argent qu’elles distribuent. ».

Proposition 2 : Horizontaliser des relations entre financeur et financé

Pour horizontaliser les relations entre financeur et financé, les auteurs mettent en avant quatre modalités qui permettent de rendre le rapport de collaboration plus puissant : le dialogue, la représentation, la collaboration et la décision par les donataires. Cette horizontalisation permettra notamment la « mise en cohérence entre les modalités d’action déployées et les buts de la philanthropie. ».

Proposition 3 : Engager collectivement les fondations contre les inégalités

Pour cette troisième proposition, les auteurs s’appuient sur l’exemple du Québec où, en 2015, des fondations ont uni leur voix pour interpeller le gouvernement sur les conséquences des mesures de rigueur budgétaire. Ces fondations se sont par la suite structurées sous la forme d’un collectif favorisant ainsi la réflexion et l’échange des fondations québécoises sur les inégalités.

Ce collectif est un exemple en ce qu’il permet la diversification des voix philanthropiques, tant d’un point de vue organisationnel que sur les thématiques qu’elles abordent, mais aussi dans leur relation avec l’Etat qui dépasse le rôle de consultation habituellement accordé aux fondations.

 


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