Proposition d’initiative législative sur les activités transfrontières des associations – notre contribution
Publié le 05.04.2024
La Commission a publié une proposition de directive le 5 septembre 2023 relative aux associations transfrontalières européennes et lancé un appel à contribution auquel France générosités a souhaité répondre.
Après la résolution d’initiative législative du Parlement européen du 17 février 2022, la Commission a publié une proposition de directive le 5 septembre 2023 relative aux associations transfrontalières européennes. Le13 mars 2024, le Parlement européen a adopté en première lecture cette proposition amendée. Elle doit désormais faire l’objet de négociations inter-institutionnelles entre les trois institutions européennes.
En réponse à l’appel à contribution lancé par la Commission, vous trouverez ci-après le texte de la contribution de France générosités travaillée avec nos partenaires du Centre Français des Fonds et Fondations et du Mouvement Associatif.
La version anglaise est également accessible ici. Plus d’information sur la directive : cf. notre article
Contribution sur la consultation de la Commission sur le projet de directive sur les associations transfrontalières européennes
Les associations représentent la forme la plus courante des entités de l’économie sociale en Europe et leur nombre est estimé à plus de 3,8 millions.
France générosités est le syndicat professionnel des organisations d’intérêt général faisant appel à la générosité du public. Il représente 144 organisations parmi les plus grandes associations et fondations françaises investies dans tous les champs de l’intérêt général. Il est l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics français sur tous les sujets touchant au modèle économique et au cadre juridique et fiscal des organisations à but non lucratif (OBNL). France générosités s’attache à défendre les spécificités des modèles non-lucratif au sein de l’économie sociale et solidaire en France et en Europe.
L’activité de ces organisations ne se limite pas au territoire français. Leurs donateurs et soutiens peuvent se trouver dans d’autres Etats membres mais surtout elles peuvent être opérationnelles sur d’autres Etats membres : ce sont des actrices et citoyennes de l’Union Européenne.
Elles bénéficient par ailleurs de la protection de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. En effet, les libertés associatives et la reconnaissance de la place des acteurs à but non lucratif sont des sujets soumis à tension, et méritent donc une attention permanente.
En réponse à la résolution d’initiative législative du Parlement européen (sur laquelle France générosités a donné son avis en 2022) et conformément au plan d’action pour l’économie sociale qu’elle a adopté en décembre 2021, la Commission européenne a publié une proposition de directive sur les associations transfrontalières européennes (ATE). France générosités salue cette proposition qui vient reconnaître la place des associations dans l’Union européenne, leur « incidence positive pour ce qui est d’assurer l’équité sociale et la prospérité des citoyens de l’UE » et l’importance de leur rôle « pour la croissance au sein du marché intérieur ».
Cette proposition de directive appelle les remarques suivantes de la part de France générosités.
Une Europe donnant toute sa place à la société civile organisée
La légitimité et la confiance dans nos démocraties reposent avant tout sur la capacité des politiques à répondre aux besoins de toutes et tous dans leur diversité et à respecter les droits et la dignité de chacun. Les associations sont des rouages indispensables pour identifier les besoins réels de la population, et permettre à chacun de contribuer à construire les réponses. Elles mettent en acte au quotidien les valeurs européennes et sont des aiguillons nécessaires pour répondre aux besoins toujours croissants, faire vivre le débat démocratique et faire progresser notre société. Leur action face aux crises successives auxquelles nous faisons face ont rappelé à tous et toutes leur importance. Pourtant, comme l’illustrent les rapports annuels de Civic Space Watch, ou d’autres rapports nationaux (rapport de l’observatoire des libertés associatives en France), des schémas de détérioration des libertés et de l’espace civique européen émergent en Europe. L’Union européenne a donc un rôle à jouer dans la protection et le développement de ce dernier, conformément à la Charte européenne des Droits fondamentaux.
Sur ce point, nous reconnaissons l’apport de la proposition de directive, en ce qu’elle réaffirme le caractère essentiel de la liberté d’association[1] au bon fonctionnement démocratique. Plus précisément, les droits, principes (tels que l’égalité de traitement avec les organisations nationales, le principe de non-discrimination et le droit à un recours juridictionnel) et restrictions interdites au fonctionnement des associations, consacrés par le chapitre 2 du projet de directive, représentent des avancées considérables pour le secteur non-lucratif et pour la protection du fait associatif. Cette reconnaissance est d’autant plus importante dans le contexte de rétrécissement de l’espace démocratique et civique observé dans plusieurs Etats membres de l’Union, et précédemment présenté.
Un texte nécessaire à la reconnaissance de la place du modèle non-lucratif en Europe
Alors qu’un statut de société européenne a été adopté en 2001, puis un statut de coopérative européenne en 2002, les initiatives en faveur d’un statut d’association et de fondation européennes n’ont jamais abouti. Cette proposition de directive vient donc répondre à une demande de longue date du secteur non-lucratif. A défaut de se fonder sur l’article 352 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) permettant d’établir une forme juridique européenne, cette proposition permet de garantir, par la création d’un nouveau statut de droit national, le respect des traditions nationales en la matière. Nous saluons le pragmatisme de cette option.
De plus, ce projet de directive s’inscrit dans un contexte législatif favorable à l’économie sociale, en Europe mais aussi à l’international. Au niveau européen, la présidence espagnole du Conseil a vu naître le plan d’action de l’Union européenne pour l’économie sociale. Au plan international, une résolution de l’ONU pour promouvoir l’économie et solidaire pour le développement durable, la recommandation de l’OCDE sur l’économie sociale et solidaire et l’innovation sociale ainsi que la résolution de l‘OIT concernant le travail décent et l’économie sociale et solidaire sont autant de textes qui viennent imposer l’économie sociale comme priorité d’avenir. Ce projet de directive s’inscrit donc dans la continuité de ces travaux.
Par la base légale choisie, le projet de directive sur les associations transfrontalières européennes adopte une approche centrée sur la liberté d’établissement (article 50 du TFUE) et le fonctionnement du marché intérieur (article 114 du TFUE) faisant entrer de plein droit les associations dans le champ de la concurrence. Cette approche spécifique au droit communautaire est éloignée de la conception française du champ non-lucratif. Néanmoins la présence dans ce texte, d’une définition du but non lucratif, proche de la notion de but non-lucratif en droit français permet de faire coexister ces deux approches, et nos organisations représentatives de ce champ non-lucratif saluent l’introduction de cette définition dans le texte, qui constituera un précédent majeur pour nos structures.
En effet, cette définition européenne du « but non-lucratif », depuis longtemps attendue par les acteurs non-lucratifs, vient éclaircir un flou juridique, accentué par l’hétérogénéité des acteurs de l’économie sociale. Si les coopératives et les mutuelles ont en commun avec les associations et fondations le fonctionnement démocratique de leur gouvernance et la primauté des personnes et des objectifs sociaux et environnementaux sur le profit, les associations et fondations n’ont pas pour objectif de distribuer leurs profits entre leurs membres. Une telle définition permet de poser un cadre favorable au développement du secteur non-lucratif en Europe. Il nous semble donc fondamental de veiller à conserver cette définition, lors des discussions à venir sur ce texte.
Cependant, et afin de consolider cette définition, nous suggérons d’y inclure :
- Le principe de « gestion désintéressée » : inclure cette notion de gestion désintéressée permettrait alors de préciser que l’organisme à but non-lucratif, doit être géré et administré par des personnes n’ayant aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats des activités de l’organisme
- La notion d’« intérêt général » : il est important de rappeler la finalité des organisations à but non lucratif qui agissent pour l’intérêt collectif au sens large. Cette notion est visée dans l’exposé des motifs mais n’est pas reprise dans le corps de la directive ; elle mériterait d’être précisée dans un considérant.
Considérant la grande diversité du secteur associatif en Europe, il nous semble également fondamental de rappeler que les associations à but non-lucratif ne réalisent pas systématiquement des activités économiques. Bien que nous nous réjouissions de la sécurisation dans le texte du droit des associations à but-non lucratif à réaliser des activités économiques[2], la notion d’« activités non-économiques » devrait selon nous, apparaître à la même occurrence que les activités économiques. Un tel rééquilibrage permettrait de réaffirmer l’approche non-marchande des activités d’intérêt général des associations transfrontalières européennes, et plus généralement, la spécificité de ce modèle. Ceci est d’autant plus essentiel à l’heure où de nombreuses dérives sont apparues dans la gestion par le secteur marchand d’activités sociales ou médico-sociales (gestion d’EHPAD, de crèches…).
Nous souhaitons enfin que ce projet de directive puisse être une première étape vers une reconnaissance plus globale du secteur non lucratif, composé des associations et fondations, au sein de l’économie sociale en Europe. Dans ce sens, un texte similaire sur la base du statut d’ATE, pourrait être proposé pour un statut de fondation transfrontalière européenne.
Un texte qui permet de lever les barrières pour réaliser des activités transfrontalières
Au regard de l’impact de l’action des associations pour l’Union européenne et pour ses citoyens, nous reconnaissons les avancées portées par cette proposition de directive en ce qui concerne les mesures visant à lever les obstacles juridiques, financiers et administratifs existants dans les Etats membres pour les associations à but non-lucratif ayant des activités dans différents pays de l’Union.
Les mesures proposées permettront de favoriser leur reconnaissance et leur développement dans tous les pays de l’Union.
France générosités se réjouit donc du principe de reconnaissance mutuelle en instituant un enregistrement unique permettant d’acquérir la personnalité juridique et la capacité juridique dans tous les Etats membres, c’est-à-dire la capacité à nouer des partenariats, à détenir et gérer des biens mobiliers et immobiliers ainsi que la capacité à recevoir et solliciter dons. En outre, la liste des informations demandées en vue de l’enregistrement est strictement limitée.
La proposition de directive rend d’ailleurs possible la transformation d’une association existante en ATE au sein d’un même Etat.
France générosités se réjouit également de la facilitation du transfert de siège social établie par le projet de directive qui n’entraîne plus de dissolution de l’association ni la création d’une personne morale nouvelle. En effet, bien que ces problématiques ne concernent qu’une certaine typologie d’associations en Europe, elles sont réelles et obèrent leur capacité d’action sur plusieurs Etats membres.
Points de vigilance sur le contenu de la proposition de directive
DES restrictions injustifiées au fonctionnement de l’association transfrontaliere europeenne
France générosités relève que seules les personnes physiques qui sont des citoyens de l’Union européenne ou qui résident légalement dans l’Union européenne peuvent être membres de l’organe exécutif d’une ATE (article 7).
Cette restriction paraît excessive au regard de l’esprit de la proposition de directive qui vise à faciliter le fonctionnement des associations et notamment des associations à vocation internationale dont la composition est souvent multinationale.
Par ailleurs, en vertu du principe démocratique, l’article 8 prévoit que chaque membre d’une ATE dispose d’une voix. En vertu de ce même principe et du principe de liberté associative, une certaine souplesse devrait être garantie. Les statuts de l’ATE devraient non seulement pouvoir organiser librement les conditions d’admission, d’exclusion ou de retrait des membres (article 6, 2, g) mais aussi pouvoir définir librement les catégories de membres et les droits y attachés. Nous approuvons à ce titre les amendements adoptés par le Parlement le 13 mars 2024[3].
Un risque accru de renforcement de la concurrence des associations à but non lucratif au regard de la place du bénévolat, spécificité du modèle associatif
Comme l’indique l’étude d’impact, les bénévoles constituent une ressource considérable pour les associations[4] dont les ressources sont limitées et font partie intégrante de leur modèle économique.
En fondant cette directive sur des dispositions du TFUE relatives au marché intérieur, les ATE se trouvent placées au même niveau que les entités économiques « classiques » constituées sous forme de société commerciale par exemple. Celles-ci pourraient invoquer à l’encontre des ATE une atteinte injustifiée à la concurrence par le recours à une main d’œuvre gratuite. De plus, les États Membres pourraient se trouver en difficulté pour pérenniser les subventions octroyées aux activités d’intérêt général réalisées par les ATE.
Par conséquent, cette proposition de directive devra s’accompagner corrélativement d’une modification du RGEC afin de prendre en compte la spécificité du fonctionnement des associations et de leur modèle économique. Cette modification devra inclure un cadre d’exemption des règles des aides d’État pour les structures non lucratives agissant dans un but d’intérêt général, mais aussi protéger la contribution des nombreux bénévoles aux activités d’intérêt général.
Conclusion
France générosités salue donc la proposition de directive sur les associations transfrontalières européennes dans son ensemble, en ce qu’elle permet d’assurer l’exercice effectif des libertés associatives telles que reconnues par les textes fondateurs de l’Union européenne, et de donner toute sa place au modèle d’économie à but non lucratif porté par les associations au bénéfice des citoyens et des territoires.
France générosités alerte cependant sur le risque de mise en concurrence des organisations à but non lucratif agissant dans un cadre d’intérêt général. Il sera nécessaire de construire les cadres de protection des organisations à but non lucratif agissant pour l’intérêt général notamment dans les marges de manœuvres existantes (règles de minimis, RGEC).
France générosités se tient à la disposition de la Commission pour participer aux travaux nécessaires pour atteindre ses objectifs.
Laurence LEPETIT Déléguée générale |
Sarah BERTAIL Directrice juridique et affaires publiques |
[1] Considérant (12) : « La liberté d’association est essentielle au fonctionnement de la démocratie, car elle constitue une condition essentielle à l’exercice d’autres droits fondamentaux par les individus, y compris le droit à la liberté d’expression et d’information. Comme le reconnaissent la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDF) et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), la liberté d’association est un droit fondamental ».
[2] Ce qui justifie la référence à l’article 114 du TFUE
[3] Résolution législative du Parlement européen du 13 mars 2024, P9_TA(2024)0147
[4] Cf. Etude d’impact pages 16-17 et annexes 4 et 7.