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Philanthropie et démocratie : les 5 enseignements de Sylvain Lefèvre

Publié le 26.08.2024

"Se cantonner à voir le capital philanthropique comme un capital privé, arbitraire, individuel, n’a pas de sens [...]" Aujourd'hui, Charlène Petit du podcast FILantropio nous transmet 5 apprentissages de son interview avec Sylvain Lefèvre professeur à l'UQAM, directeur du CRISES et membre du PhiLab.

Dans un monde où les inégalités se creusent et où les institutions publiques peinent à répondre à tous les besoins, la philanthropie émerge comme un acteur clé. Mais quel est son véritable impact sur la démocratie ? Sylvain Lefèvre, universitaire et spécialiste des relations entre fondations, milieu communautaire et État, a partagé son expertise sur les ondes de Filantropio. En s’appuyant sur l’ouvrage collectif Philanthropes en démocratie qu’il a co-dirigé avec Anne Monier, il nous livre les cinq principaux enseignements à retenir sur ce sujet aussi complexe que clivant.

Qui est Sylvain Lefèvre ? Il est professeur à l’UQAM, directeur du CRISES (Centre de recherche sur les innovations sociales), co-président du TIESS (Territoires innovants en économie sociale et solidaire) et un membre actif du PhiLab (Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie). Découvrez également notre décryptage sur son étude avec la Fondation de France sur la même thématique “Philanthropie et démocratie”, par ce lien ci.

 

1. La philanthropie : un enjeu démocratique, collectif et d’acceptabilité sociale

La philanthropie est l’affaire de chacun puisqu’elle finance des projets qui touchent l’ensemble de la société que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la santé, des loisirs ou encore de la défense des droits. Nous y contribuons tous directement ou indirectement (par les mécanismes de déduction fiscale). Mais au-delà de la circulation d’argent, de temps ou de ressources matérielles, elle permet de tisser du lien social. Sylvain avance la thèse selon laquelle “la manière dont s’exerce la philanthropie peut tout autant renforcer ces liens sociaux et parfois démocratiques, ou au contraire affaiblir des liens démocratiques et renforcer des pouvoirs ploutocratiques ou donner plus de pouvoir aux élites”.

Sylvain Lefèvre nous rappelle que la dureté des luttes autour de la philanthropie ne date pas d’hier et que chaque période de contestation coïncide avec une période d’accroissement des inégalités. Au moment de la révolution industrielle aux États-Unis, la hausse des millionnaires s’est accompagnée de résistances autant de la part des bénéficiaires que des élites religieuses qui avaient un discours très critique sur le “tainted money”, sale par sa provenance. Les élites politiques quant à elles refusaient de transformer le pouvoir économique des fondations en pouvoir politique, considérant que “la machination destinée à perpétuer une énorme fortune est absolument contraire à l’intérêt public”.

 

2. L’encastrement politique de la philanthropie

Le postulat selon lequel la philanthropie serait forte dans un État faible est une fable. Aux États-Unis comme en Europe, le pouvoir politique et la philanthropie sont très imbriqués. D’un côté, l’État sait très bien orienter la philanthropie quand il le souhaite, en exerçant un contrôle pour qualifier son périmètre, en échafaudant des mécanismes fiscaux, en lui attribuant une place plus ou moins grande. De l’autre côté, les fondations peuvent adopter des visions différentes de leur rapport à l’État. Certaines se conçoivent en complément par la prise en charge de ce que l’État ne fait pas. D’autres s’inscrivent en prolongement en faisant la même chose mais de manière plus agile. Enfin, d’autres se voient en alternatives en donnant des moyens à une société civile en opposition à l’État.

 

3. Le pouvoir transnational de la philanthropie des élites

Lefèvre aborde également la question de la philanthropie transnationale à travers les figures incontournables de George Soros et Bill Gates. Il explique que la particularité de leurs interventions est leur grande flexibilité dans un jeu d’acupuncture sociale. Ils s’engagent et se rétractent à leur guise et leurs financements sont très ciblés. Ils savent trouver la bonne distance, y compris sortir du jeu si nécessaire, dosant ainsi leur soft power et ingérence politique des pouvoirs locaux. Une autre spécificité est leur “capacité à s’extraire de la reddition de compte par rapport à un pouvoir politique qui a fait des promesses” note-t-il.

 

4. La philanthropie comme alternative à la scène électorale

Au moment du suffrage censitaire en France (1815-1848), les règles d’accès au champ politique ont changé. Pour les philanthropes marginalisés par ce mode de scrutin, l’élection devient un problème et la philanthropie une solution. Celle-ci est non seulement valorisée comme un espace de distinction sociale mais aussi comme le vrai espace du politique,  alternatif à la scène électorale. Autrement dit, il y a d’un côté “la lutte des places”, et de l’autre, l’action directe.

Ce discours tend à perdurer de nos jours dans une perception très négative de la politique, assimilée à “une perte de temps ou une course de petits chevaux”. En contrepoint, la philanthropie est toujours tournée vers l’idée d’agir de manière concrète.

 

5. Les trois façons de démocratiser la philanthropie

Le fonctionnement démocratique de la philanthropie se joue à trois niveaux. Tout d’abord, dans la conception du rôle des acteurs privés et publics en commençant par reconnaître leur interdépendance. Selon Sylvain Lefèvre, “se cantonner à voir le capital philanthropique comme un capital privé, arbitraire, individuel, n’a pas de sens”. Celui-ci est par définition collectif du point de vue de sa légitimité et de sa volonté d’efficacité puisque la philanthropie n’est pas uniquement de l’argent privé du fait de la contribution fiscale. De plus, l’idée qu’un philanthrope peut changer les choses tout seul dans son coin en étant déconnecté des autres interventions est complètement illusoire.

Ensuite, cette démocratisation passe par une plus grande inclusion des représentants des communautés desservis et des bénéficiaires dans les décisions des fondations notamment en termes d’allocation des fonds. Par ailleurs, le syndrome d’hypercompétence des philanthropes qui consiste à croire qu’on peut réussir à résoudre des problèmes sociaux  parce qu’on a déjà réussi dans son domaine doit être évité.

Ultimement, il est urgent de considérer les fondations comme des acteurs importants de l’action publique et de les intégrer dans le débat. Pour le moment, comme le mentionne Sylvain Lefèvre, “dans les ministères et les municipalités, on ne veut pas reconnaître leur existence politique”.

 

Conclusion

Les réflexions de Sylvain Lefèvre nous invitent à repenser à la fois les architectures fiscales, le fonctionnement des organisations philanthropiques et le lien entre donateur et donataire pour que la philanthropie puisse être un vecteur de changement positif, sur des bases démocratiques saines. En interrogeant la façon d’exercer celle-ci, on s’aperçoit que nous avons le choix en tant que société d’en faire soit “un outil de capacitation, soit un outil de verticalisation et de distanciation”.

 

Si vous souhaitez approfondir le sujet au moyen d’exemples très concrets, je vous invite à écouter mon échange avec Sylvain Lefèvre dans l’épisode 24.


charlène petit filantropio

Article écrit par Charlène Petit, fondatrice du Podcast FILantropio et de la newsletter Vitamine G (comme générosité).

Découvrez plus d’inspirations avec les témoignages d’acteurs de notre secteur ici.

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