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Legs à une association : cas d’opposition du préfet

Publié le 04.09.2024

Dans un arrêt du 17 juin 2024, qui a fait couler beaucoup d’encre, le Conseil d’Etat revient sur le droit pour un préfet de s’opposer à la réception d’un legs au profit d’une association simplement déclarée.

La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a élargi le champ des associations ayant la capacité juridique à recevoir des libéralités. Ainsi, en vertu de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, les associations déclarées depuis au moins trois ans et qui exercent des activités visées à l’article 200, 1, b du code général des impôts, peuvent accepter des libéralités ainsi que posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit. Cependant, le préfet peut s’opposer à l’acceptation d’une libéralité dans certains cas. C’est ce que vient préciser le Conseil d’Etat dans un arrêt du 17 juin 2024.

 

1. Contexte

Dans cette affaire, Fraternité française, association déclarée en préfecture en 2007 ayant pour objet d’ « organiser toute action de bienfaisance visant à venir en aide sur le plan moral, juridique, culturel, médical, matériel et alimentaire, à toute personne et famille déshéritée ou dans le besoin, exclue des systèmes de protection sociale, privée de logement et/ou de ressources ou victimes d’actes arbitraires par suite des circonstances politiques, économiques ou sociales indépendantes de leur volonté […] » est désignée par testament authentique comme légataire universelle des biens meubles et immeubles d’une personne décédée en 2015. Le legs est consenti à charge pour l’association de suivre ses dernières volontés à savoir :

  • donner la jouissance exclusive sans indication de limite de temps, à titre gratuit, au mouvement Front National pour l’Unité Française (FN) – devenu Rassemblement national – de ses quatre biens immobiliers à l’exception du deuxième étage et des greniers de sa propriété de Sanary-sur-Mer (Var), du 1er août au 31 janvier de chaque année ;
  • donner la jouissance de sa propriété du Cap Ferret (Gironde) au bénéfice de sa nièce, jusqu’à son décès et du 2e étage et de la chambre sous comble de sa propriété de Versailles (Yvelines).

Conformément à l’article 910 du code civil et au décret n°2007-807 du 11 mai 2007, l’association déclare ce legs auprès du préfet territorialement compétent. Le préfet dispose d’un droit d’opposition[1] (dans les quatre mois de la déclaration) dans deux cas :

  • l’association ne satisfait pas aux conditions légales pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ;
  • l’association n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire.

En l’espèce, il ne fait pas de doute que l’association dispose de la capacité juridique à recevoir un legs : au jour du décès de la testatrice, elle existe depuis plus de trois ans et elle exerce des activités d’intérêt général.

Toute la question est donc de savoir si l’association est « apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire ». Le préfet n’y voit pas de difficulté mais le Conseil d’Etat en décide autrement en raison des charges grevant ce legs.

 

2. Interrogation sur l’aptitude de l’association à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire

S’appuyant sur les travaux du législateur de 2014, le Conseil d’Etat interprète les dispositions de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 comme devant permettre aux associations déclarées depuis trois ans au moins, et dont l’ensemble des activités est mentionné au b du 1 de l’article 200 du code général des impôts, de posséder et d’administrer des immeubles acquis à titre gratuit afin d’augmenter et de diversifier leurs ressources, sans que puisse alors leur être opposée la condition tenant à une utilisation des biens immeubles conforme à leur objet statutaire. Le préfet ne peut donc s’opposer à la réception d’un legs (ou d’une donation) immobilier par une association au seul motif que cet immeuble n’est pas utilisé conformément à son objet social. En revanche, le préfet peut s’opposer à la réception dudit legs :

  • si les charges et conditions dont la libéralité est, le cas échéant, grevée font obstacle à ce que l’association en retire un avantage économique suffisant ; ou
  • si l’association n’apparaît pas en mesure d’exécuter lesdites charges et conditions ; ou
  • si ces charges et conditions sont incompatibles avec l’objet statutaire de l’association.

L’objet social n’est donc plus un obstacle à la réception d’un legs (ou d’une donation) immobilier mais les conditions d’utilisation de ce bien ne doivent pas aller à l’encontre de cet objet social.

Et c’est là que le bât blesse : en l’espèce, les charges imposées par la testatrice ne permettent pas à l’association d’accepter ce legs. En effet, ces charges obligent l’association :

  • à mettre à disposition la majorité des biens immobiliers au profit d’une autre personne morale (qui plus est un parti politique) ce qui n’est pas compatible avec le but de bienfaisance de l’association ;
  • à mettre à disposition les biens immobiliers sur un temps long (voire de manière illimitée), ce qui ne permet pas à l’association d’en retirer un avantage économique suffisant.

On relèvera sur ce dernier point, que l’association avait obtenu l’accord du parti politique bénéficiaire de la mise à disposition pour un rachat de son droit de jouissance ce qui aurait pu permettre à l’association de retirer un « avantage économique suffisant » du legs. Cependant, la Cour administrative d’appel a rejeté cet argument au motif que ce rachat n’était pas conforme à la volonté de la testatrice.

 

3. Incidence d’une prise de position de l’administration fiscale sur la décision du préfet

On relèvera enfin que l’arrêt commenté apporte également une précision sur l’éventuel incidence d’une prise de position de l’administration fiscale sur la décision du préfet.

En l’espèce, l’association avait obtenu de l’administration fiscale un rescrit mécénat positif[2]. Cependant, le Conseil d’Etat juge que cette prise de position « ne présume en aucune manière de la capacité de l’association à recevoir une libéralité dans les conditions posées par l’article 910 du code civil ».

Cette position du Conseil d’Etat est conforme au principe de séparation entre le juridique et le fiscal. Elle est toutefois à actualiser au regard de la modification apportée par le décret du 5 juillet 2024[3]. L’article 1er du décret du 11 mai 2007 précise désormais que les conditions posées par l’article 6 de la loi de 1901 « sont présumées satisfaites lorsque l’association dispose d’une prise de position formelle délivrée dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 80 C du livre des procédures fiscales l’avisant qu’elle relève des dispositions du b du 1 de l’article 200 du code général des impôts ». Un rescrit mécénat positif permet donc (assez logiquement) de présumer qu’un organisme bénéficiaire d’un legs remplit les conditions légales pour accepter ledit legs, à charge pour le préfet de démontrer le contraire.

Référence : Conseil d’Etat, 10ème – 9ème chambres réunies, 17 juin 2024, requête n°471531

Voir notamment : « Associations : un legs pas assez profitable » – Veille par Lucienne Erstein, La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n°26, 28 juin 2024, act. 826

 

Sarah Sarah BERTAIL
Directrice juridique et affaires publiques

 


[1] Pour rappel, ce droit d’opposition ne s’applique pas aux associations et fondations reconnues d’utilité publique.

[2] L’administration fiscale avait considéré que l’association était éligible au dispositif du mécénat au sens des articles 200 et 238 bis du code général des impôts dans le cadre de la procédure de l’article L. 80 C du Livre des procédures fiscales. Plus d’infos ici : https://www.francegenerosites.org/8-le-rescrit-fiscal-podcast-tout-droit-vers-la-generosite/

[3] Cf. notre commentaire ici

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