Le don in memoriam : un canal de collecte en plein développement
Publié le 17.03.2025
Don in memoriam : entre points d'attention juridiques, procédures internes et stratégies de collecte dédiées, retour sur les nouvelles tendances et les opportunités du don hommage.
Article sur le don in memoriam publié initialement par l’équipe de France générosités dans le JurisAssociations 713 du 15 février 2025.
1. Don in memoriam, don mémoriel, quête décès ou don hommage ?
Ces termes désignent tous un type bien particulier de collecte au profit d’organismes d’intérêt général. Il s’agit d’une cagnotte organisée par les proches d’un défunt et dont l’objet est de récolter des fonds afin de soutenir une cause chère à la personne disparue et, par ce biais, de lui rendre hommage.
La collecte hommage peut prendre différentes formes. Elle peut émaner de la volonté du défunt lui-même qui a émis le souhait que les personnes présentes à ses obsèques n’achètent pas de fleurs mais réalisent un don à l’association qu’il a soutenue sa vie durant. Famille et amis peuvent également en être à l’initiative, tel sera le cas d’une collecte visant à financer une œuvre qui lutte contre la maladie qui a emporté un proche.
L’organisateur de la cagnotte invite les proches à participer par différents biais, souvent complémentaires : mention sur le faire-part de décès, collecte directe lors de la cérémonie d’hommage ou encore envoi d’un lien menant, soit vers le formulaire de don en ligne de l’organisme bénéficiaire, soit vers une page de collecte personnalisée, créée spécifiquement à cet effet.
Le don in memoriam est un canal de collecte à part. Au regard de sa dimension émotionnelle et des questions éthiques associées, il implique la mise en place de procédures, d’outils de gestion et de cycles marketing relationnels dédiés.
Retour sur les apprentissages du travail collectif réalisé par le réseau France générosités, qui représente 154 organisations d’intérêt général faisant appel à la générosité du public. France générosités travaille depuis novembre 2023 avec ses organisations membres collectrices de don hommage afin d’identifier, d’une part, les enjeux juridiques et les problématiques propres à ce type de collecte, d’autre part, les besoins des fundraisers et les opportunités que représente le Don In Memoriam (ou « DIM ») pour le secteur de la générosité.
2. Qualification et points d’attention juridiques
Juridiquement, s’agissant d’un versement de somme d’argent, le don in memoriam est un don manuel en numéraire[2].
Le don hommage ne doit pas être confondu avec les autres ressources issues de la générosité que sont le legs et le don sur succession. Le legs, d’une part, est une disposition testamentaire par laquelle une personne dispose de son patrimoine pour le temps où elle ne sera plus. Le don sur succession, d’autre part, permet aux héritiers d’une personne décédée de donner tout ou partie du patrimoine dont ils héritent à certaines catégories d’organismes sans but lucratif (OSBL) afin de bénéficier d’un abattement sur l’assiette de leurs droits de succession[3].
Dès lors que les conditions prévues par le législateur et l’administration fiscale sont remplies, le don in memoriam ouvre droit à une réduction d’impôt pour chacun des contributeurs, particuliers ou entreprises[4].
En pratique, la gestion de ces dons et le processus d’émission des reçus fiscaux sont parfois complexifiés, notamment en raison de la difficulté à identifier les donateurs et le montant de leur contribution. Tel est le cas lorsque « les chèques arrivent par lot sans avoir les bonnes informations pour identifier les donateurs » ou lorsque l’organisateur de la collecte reverse l’intégralité de la cagnotte sans communiquer la liste des donateurs. Il convient alors de contacter ce dernier « pour ventiler les sommes en fonction des donateurs, afin de pouvoir éditer les reçus fiscaux » témoigne Delphine BISGAMBIGLIA, responsable des relations testateurs chez l’AFM-Téléthon.
Pour pallier ces difficultés, des règles internes spécifiques au don in memoriam peuvent être mises en place. Il est par exemple possible de délivrer un reçu fiscal uniquement au profit des donateurs qui le demandent[5] et de fixer un seuil minimum de don en-dessous duquel aucun reçu n’est délivré. Une bonne pratique consiste par ailleurs à envoyer un formulaire spécifique à l’organisateur de la collecte afin que soient recensés les participants et le montant de leur don. Un tel document devrait comprendre des mentions d’information dédiées à la gestion des données à caractère personnel.
A cette fin, l’OSBL qui entend collecter des données personnelles à l’occasion d’une collecte hommage doit définir les finalités des traitements envisagés (émission du reçu fiscal, prospection caritative, newsletter, etc.) et leur base légale (obligation légale, intérêt légitime, etc.)[6]. Comme pour tout traitement, l’OBSL vérifie aussi que l’ensemble des principes applicables sont bien respectés, tels que la minimisation des données ou encore le respect des droits des personnes[7].
Si les données personnelles du défunt ne sont de leur côté protégées ni par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ni par la Loi informatique et libertés[8], il ne doit cependant jamais être porté atteinte à sa mémoire, à sa réputation ou à son honneur. Le défunt aura par ailleurs pu laisser des directives quant à la gestion de ses données[9].
3. Un canal de collecte à intégrer dans les procédures internes de l’organisme
Beaucoup d’organisations ont d’abord été confrontées à des collectes hommage dites spontanées, à l’instar de l’association Renaloo : « Trop souvent, à la première prise de contact, la démarche est déjà amorcée par les proches, avec des pratiques rendant très compliqué le suivi, tels que des dons en liquide sans traçabilité ou des dons par chèque à l’ordre de la cause et non de l’association », rapporte Ronan Jaffre, responsable du développement des ressources.
Ce phénomène a mis en évidence la nécessité de se doter de moyens humains et d’outils dédiés à même de garantir la traçabilité et la juste affectation des dons. Les procédures existantes de l’organisme bénéficiaire peuvent à ce titre être adaptées à ce canal de collecte et prévoir des dispositifs relatifs aux éléments suivants :
- Formation interne : au regard du caractère sensible des collectes hommage, il est primordial que les équipes soient préparées à accompagner les proches de la manière la plus professionnelle possible.
- Accompagnement de l’organisateur de la collecte : un accompagnement global (page d’information et formulaire de don dédiés, messages types de sollicitation pour les proches, guide de collecte) et/ou individuel peut être proposé. Dans ce cadre, l’OSBL s’assure que l’organisateur communique sur une affectation possible des dons (telle maladie, tel projet, etc.). L’Institut Gustave Roussy a ainsi choisi d’indiquer directement sur sa page de collecte dédiée au don hommage la liste des programmes que les proches peuvent soutenir. En effet, à défaut de pouvoir respecter l’affectation choisie (projet terminé ou entièrement financé), l’OSBL est contraint de refuser le don[10].
- Due diligence: choix des éventuels sous-traitants suivant le respect de certains critères (plateformes partenaires notamment), mise en place de règles de gestion garantissant la traçabilité des collectes en espèce, telles que le refus des dons anonymes supérieurs à un certain seuil[11].
Ces outils et bonnes pratiques participent, au même titre que la protection des données personnelles, à renforcer le lien de confiance qui unit l’organisme bénéficiaire à ses donateurs. A ce titre, ils feront souvent partie intégrante d’un cycle relationnel propre au don hommage (cf. infra).
4. De nouvelles tendances favorisant le don in memoriam
Selon un sondage réalisé par France générosités en janvier 2024[12], sur 53 OSBL répondants, seuls 18 collectent des dons in memoriam, dont 6 depuis plus de 10 ans. Des chiffres qui devraient rapidement évoluer à l’aune d’un contexte favorable.
En premier lieu, une levée générale et progressive du tabou sur la mort permet aux associations et fondations de communiquer plus facilement sur la collecte de legs et, par extension, sur le don hommage[13].
En deuxième lieu, il est constaté un élargissement des causes soutenues. Si le secteur de la recherche médicale et de la santé demeure prédominant dans ce type de collectes[14], des causes de plus en plus diversifiées sont représentées, à l’instar de la protection de l’environnement et de la cause animale. Ainsi, le don in memoriam est une opportunité en termes de ressources pour toutes les œuvres, indépendamment de leur mission sociale.
En dernier lieu, des technologies facilitant la mise en place et la gestion de ces dons font leur apparition. Ainsi, il est aujourd’hui possible de créer des faire-part digitaux et de les envoyer aux proches du défunt par SMS, email ou via les réseaux sociaux. Le site AFairePart guide l’organisateur tout au long de la rédaction du faire-part et propose même une section dédiée au don in memoriam qui permet d’indiquer que des dons peuvent être faits, à la place ou en complément des fleurs.
Des plateformes de Peer-to-Peer spécialisées[16] émergent également et proposent un accompagnement complet aux proches mais aussi aux organismes bénéficiaires. A titre d’exemple, la Cagnottes des proches réalise les procédures de due diligence relatives à la traçabilité des dons et propose aux associations de générer et d’envoyer les reçus fiscaux.
Autant d’outils à même d’inciter les organismes qui n’ont pas encore développé cette ressource, par manque de temps et de moyens humains, à sauter le pas[18].
5. Un potentiel important conditionné par l’élaboration d’une stratégie de collecte dédiée
Dans le cadre du sondage susvisé, 20 des 23 organismes collecteurs de dons in memoriam ou envisageant d’en collecter ont affirmé y percevoir un potentiel important de collecte et une opportunité pour rajeunir et diversifier leurs profils donateurs. Cependant, ce potentiel paraît en pratique complexe à exploiter, et ce, pour plusieurs raisons.
Une première difficulté est liée à l’identification même des dons. En effet, il est parfois impossible de rattacher les fonds reçus à une collecte hommage (don réalisé en ligne sur le formulaire classique de l’association, versement par chèque sans indication complémentaire, etc.). Pour répondre à cet enjeu, les organismes collecteurs mettent en place des solutions techniques, parmi lesquelles une case à cocher supplémentaire sur le formulaire de don permet au donateur d’indiquer qu’il réalise un don hommage. Ce donateur sera ainsi exclu des cycles de remerciement et de fidélisation classiques.
Un deuxième enjeu est lié à la construction d’un cycle marketing dédié dans la mesure où l’OSBL s’adresse à des personnes endeuillées. Il convient de faire preuve de davantage de pédagogie qu’avec ses donateurs habituels, les contributeurs étant souvent peu ou pas sensibilisés à la cause à laquelle ils donnent, qui est avant tout chère à la personne disparue. Les parcours relationnels imaginés pour répondre à cette problématique sont multiples.
Pour certains OSBL, tels que l’AFM-Téléthon, il s’agit de créer de la proximité avec l’organisateur de la collecte : « Lorsqu’une personne nous appelle pour nous informer qu’elle vient d’organiser une quête au profit de notre association, je lui présente toujours nos condoléances et la remercie d’avoir pensé à notre association. Je prends le temps de l’écouter car c’est le moment où elle livre des détails sur la personne décédée », témoigne Zahia Diogo, Assistante Relations Testateurs, qui ne manque pas de donner ses coordonnées afin que l’organisateur puisse la joindre en cas de besoin.
D’autres optent pour le développement d’une relation axée principalement sur un positionnement serviciel – l’œuvre bénéficiaire se présente comme un facilitateur et propose un accompagnement personnalisé aux proches qui souhaitent rendre hommage à un défunt.
Un dernier enjeu est celui de la complexité à communiquer sur ce canal de collecte à des fins de prospection[19]. En effet, « il est évident qu’on ne parle pas à un donateur in memoriam comme à un donateur classique. Avant même les considérations techniques, il s’agit de décider du ton et de la fréquence de nos communications », note Rodin Munganga, Responsable Communication & Marketing digital des Petits Frères des Pauvres. Les actions de prospection sont d’autant plus délicates qu’il existe encore des tabous liés à des « causes sur des maladies comme le VIH », ajoute Patricia Gutierrez, chargée de collecte et relations donateurs-rices chez AIDES. Il est par conséquent nécessaire de construire une stratégie de prospection et de fidélisation propre au don in memoriam.
A cette fin, certaines organisations, telles que la Ligue contre le Cancer, s’appuient sur leur maillage territorial qui « permet un contact direct avec les personnes touchées par la maladie mais aussi les donateurs. Notre ancrage local et nos actions concrètes partout en France facilitent fortement la collecte in memoriam. Les dons peuvent être transmis en toute confiance. Pour faciliter ce geste, la Ligue met à disposition des urnes, communique sur ses sites web ou via des tiers (pompes funèbres) sur les démarches à suivre », Antoine Enguehard, responsable de la collecte digitale.
S’agissant du calendrier, certains organismes s’appuient sur des dates clés, telles que la Toussaint, pour réaliser des campagnes dédiées au don hommage. Une stratégie qui s’avère efficace selon Rodin Munganga : « le don in memoriam qu’on a installé de manière progressive sur 3 ans avec une campagne annuelle fait partie des dispositifs de collecte très efficaces permettant d’attirer de nouveaux donateurs. En effet, 95% des donateurs sur ce type de dons sont des nouveaux donateurs. »
Le deuil pouvant toucher amis et famille à tout moment, d’autres œuvres choisissent de communiquer sur la possibilité de faire des dons hommage tout au long de l’année.
Conclusion
Une gestion et une stratégie de collecte dédiées permettront aux organisations d’intérêt général de répondre à chacun des enjeux spécifiques du don in memoriam et d’exploiter pleinement le potentiel de ce canal de collecte en construisant une relation de confiance sur le long terme avec leurs donateurs.
Article écrit par :
Anouk Marchaland, juriste
Corentin Hue, responsable digital et développement
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[2] Le don manuel se réalise par la simple remise matérielle de la chose donnée. On parle de don de la main à la main.
[3] Le don sur succession est un mécanisme notamment intéressant pour les successions fortement taxées, telles que celles qui sont réalisées au profit d’un proche éloigné (neveu/nièce) ou hors du cadre familial. Pour en savoir plus sur les conditions du don sur succession : article 788, III du Code général des impôts, BOI-ENR-DMTG-10-50-20-20230524 n° 230 et suivants
[4] Pour ouvrir droit à réduction d’impôt, le versement doit notamment être désintéressé (principe d’absence de contrepartie) et être réalisé au profit d’un organisme éligible. Voir, pour les particuliers : article 200 du code général des impôts et BOI-IR-RICI-250 ; pour les entreprises : article 238 bis du code général des impôts et BOI-BIC-RICI-20-30.
[5] Il appartient aux donateurs qui en font la demande de justifier la réalité de leur don (participation effective à la cagnotte et pour quel montant).
[6] Tout traitement de données personnelles envisagé par l’OSBL doit reposer sur l’une des bases légales prévues par le RGPD (article 6 RGPD).
[7] Voir la fiche pratique de la CNIL « Les six grands principes du RGPD » – https://www.cnil.fr/fr/comprendre-le-rgpd/les-six-grands-principes-du-rgpd
[8] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
[9] Le RGPD ne s’applique pas au traitement des données à caractère personnel des personnes décédées. De son côté, la Loi informatique et libertés prévoit que, si en principe ses droits s’éteignent au moment de son décès, toute personne peut définir de son vivant des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives peuvent être générales (concernent l’ensemble des données à caractère personnel) ou particulières (concernent uniquement le ou les traitements mentionnés dans les directives). Chap. V de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés).
[10] Les produits provenant de la générosité du public doivent être affectés conformément à la volonté du donateur. En ce sens, l’Agence française anticorruption (AFA) rappelle que tout don crée un quasi-contrat entre le donateur et l’organisation (Maîtriser le risque d’atteinte à la probité au sein des associations et fondations reconnues d’utilité publique – Bonnes pratiques relatives à la gouvernance et la gestion du don, janvier 2022).
[11] En ce sens, l’AFA recommande d’établir un processus pour l’acceptation de dons anonymes (ibid.)
[12] Sondage France générosités réalisé en janvier 2024 auprès de 53 organisations membres du réseau dont 18 collectrices de don in memoriam et 5 qui envisagent d’en collecter.
[13] Etude The Future of Legacy Giving : Boomers and Beyond – Legacy Foresight – Novembre 2023
[14] 13 des 18 organisations membres du réseau France générosités qui collectent des dons in memoriam, à date de janvier 2024.
[16] La collecte de fonds en mode peer-to-peer est une méthode de financement participatif à plusieurs niveaux, dans laquelle les donateurs jouent un rôle actif en récoltant des fonds pour le compte de l’organisation.
[18] Selon le sondage réalisé par France générosités, les principales raisons évoquées par les organisations non-collectrices pour justifier le choix de ne pas mettre en place un canal dédié à la collecte hommage sont la méconnaissance (40 % des répondants) et le manque de temps (36 %).
[19] 40 % des collecteurs de DIM qui ont répondu au sondage de France générosités ne réalisent aucune communication sur le sujet en raison de la difficulté à déterminer le ton employé ou le juste niveau de personnalisation et de sollicitations.