Décryptage – décret portant dématérialisation et simplification des procédures applicables aux organismes philanthropiques
Publié le 23.07.2024
Le ministère de l’Intérieur a adopté par décret des mesures visant à dématérialiser et à simplifier les procédures applicables aux organismes philanthropiques, notamment concernant la reconnaissance d’utilité publique. France générosités salue la volonté de simplification initiée par le ministère de l’Intérieur mais estime que des améliorations sont encore possibles, comme le syndicat avait pu l’exprimer dans le cadre de la consultation préalable à l’adoption de ce décret.
Le décret n° 2024-720 du 5 juillet 2024 portant dématérialisation et simplification des procédures applicables aux organismes philanthropiques a été publié au Journal officiel du 7 juillet 2024.
Il concerne les associations reconnues d’utilité publique (ARUP), les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), les fonds de dotation, les fondations d’entreprise ainsi que les Etats et établissements étrangers recevant des libéralités régies par le droit français.
Le décret vise à (i) dématérialiser diverses procédures, (ii) simplifier certaines démarches et (iii) harmoniser les différents textes applicables aux organismes philanthropiques ainsi que les mettre en conformité avec les règles européennes.
La dématérialisation des procédures
Le décret instaure le principe du recours aux téléservices pour la réalisation de l’ensemble des procédures auxquelles les organismes philanthropiques sont soumis : déclarations diverses (constitution, changements dans l’administration, appel à la générosité du public, transfert de siège), demande de reconnaissance d’utilité publique, autorisation (par exemple dans le cadre d’un emprunt), approbation, demande de rescrit.
En pratique, la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par lettre remise contre signature est désormais effectuée « par tout moyen permettant d’attester de la date de réception ».
Le décret officialise le registre national des associations[1] et crée un registre national des fondations, fondations d’entreprise et fonds de dotation[2] dont la création avait été annoncée à l’automne 2023. Chaque structure disposera donc d’un numéro d’identification dans l’un de ces répertoires dont le contenu doit encore être précisé.
La simplification des procédures
Les mesures spécifiques aux associations et fondations reconnues d’utilité publique
Le décret prévoit plusieurs mesures de simplification pour les associations et fondations reconnues d’utilité publique.
Tout d’abord, la procédure de changement de siège social s’effectue désormais par le biais d’une simple déclaration au ministre de l’Intérieur (et non plus une approbation)[3].
Ensuite, la procédure de changement de partenaires institutionnels, membres du conseil d’administration de l’association ou de la fondation (ou du conseil de surveillance de la fondation) s’effectue dorénavant par simple déclaration au ministre de l’Intérieur puis approbation par ce dernier et n’implique plus de modifications statutaires[4]. Il convient toutefois de relever que cette approbation n’est encadrée par aucun délai et qu’elle est conditionnée par « l’existence d’une convergence entre l’objet de [l’association/la fondation] et celui de la personne morale pressentie » ce qui peut laisser place à l’interprétation par le ministre de l’Intérieur. En outre, la simplification ne semble qu’apparente dans la mesure où le texte met en place à la fois une procédure déclarative mais cette déclaration doit ensuite être approuvée.
Enfin, le règlement intérieur de l’association ou de la fondation, dont le contenu sera précisé par arrêté, prend effet après déclaration au ministre de l’Intérieur et non plus par arrêté ministériel. Le décret met ainsi en place un contrôle a posteriori du règlement intérieur : le ministère de l’Intérieur peut s’opposer, à l’issue d’une procédure contradictoire, aux dispositions qui ne seraient pas conformes aux règles applicables aux organisations reconnues d’utilité publique[5]. Ce droit d’opposition a pour conséquence de priver d’effet uniquement les dispositions problématiques (et non l’intégralité du règlement intérieur). Cependant, il est regrettable que ce droit d’opposition ne soit pas encadré par un délai.
Les mesures spécifiques relatives aux fondations d’entreprise
Plusieurs mesures de simplifications sont également à relever pour les fondations d’entreprise.
D’une manière générale, les procédures relatives aux fondations d’entreprise sont déconcentrées du ministère de l’Intérieur vers les préfectures[6] ce qui devrait permettre d’accélérer leur traitement.
En outre, l’obligation d’insérer dans les statuts des éléments budgétaires[7] est supprimée afin de limiter les modifications statutaires. A cet égard, les attestations bancaires qui devaient être fournies dans le cadre des demandes de modification statutaire ne sont plus exigées. En effet, il apparaît que le contrôle des versements du programme d’action pluriannuel (lesquels sont garantis par caution bancaire) peut être opéré via l’annexe des comptes des fondations d’entreprise transmis en préfecture.
Par ailleurs, le délai de 5 jours imposé à la préfecture pour délivrer récépissé est supprimé. Cette suppression se justifie par le fait que les règles de délivrance des accusés de réception sont encadrées par le code des relations entre le public et l’administration. En tout état de cause, ce récépissé intermédiaire n’avait de pertinence qu’au regard de la nécessité de solliciter du ministère une publication au Journal mais cette démarche est désormais supprimée par le décret en question.
Enfin, les démarches de demande de modification statutaire et de déclaration de prorogation, ne sont plus nécessairement effectuées par le président lui-même, la préfecture acceptant ainsi les mandats[8].
Les mesures spécifiques relatives aux demandes de versement de libéralités aux Etats et établissements étrangers
Le décret du 5 juillet 2024 aménage par ailleurs les demandes de versement de libéralités aux Etats et établissements étrangers.
Outre la dématérialisation de l’ensemble des procédures, les délais d’instruction des dossiers sont réduits de 12 à 6 mois, à compter de la réception du dossier complet[9]. Cependant, en cas de « complexité » du dossier, le ministre de l’Intérieur pourra proroger ce délai de 6 mois supplémentaires[10]. A noter que ce délai permet au ministre de l’Intérieur de demander des pièces complémentaires ce qui suspend alors le délai d’instruction. Par conséquent, il est à craindre que les délais d’instruction des dossiers soient en réalité aussi longs (voire plus longs) que ceux jusqu’alors pratiqués.
Le décret réduit également de 8 à 4 mois le délai dans lequel les ministères concernés peuvent émettre un avis à la demande du ministre de l’Intérieur[11].
Les mesures spécifiques relatives aux fonds de dotation
S’agissant du fonds de dotation, le décret du 5 juillet 2024 vient modifier le contenu du rapport d’activité, qui doit être transmis chaque année dans les 6 mois de la clôture de l’exercice. Tout d’abord, les indications relatives aux avantages et ressources provenant de l’étranger et aux ressources collectées auprès du public (appel à la générosité du public) sont supprimées car elles apparaissent dans les comptes annuels qui sont transmis dans le même temps. Cette information était donc redondante.
En outre, les actions d’intérêt général financées par le fonds de dotation doivent désormais être décrites de manière détaillée[12].
Par ailleurs, la possibilité pour un fonds de dotation à durée déterminée d’utiliser l’éventuel actif net restant à l’issue de la liquidation est toujours possible dans les 6 mois de la liquidation. Cependant, alors qu’elle disposait d’un délai de 15 jours à compter de la réception de la délibération décidant de l’utilisation de cet actif pour s’opposer à cette décision, la préfecture peut désormais s’opposer à tout moment à la poursuite de l’activité du fonds, si l’utilisation de l’actif net restant n’est pas conforme à l’objet du fonds.
L’harmonisation des règles applicables aux différents organismes
Le décret du 5 juillet 2024 procède enfin à une harmonisation des règles entre les différents organismes philanthropiques créant ainsi dans le décret de 2007 un chapitre II bis dédié aux fondations reconnues d’utilité publique.
Tout d’abord la liste des pièces à joindre à une demande de reconnaissance d’utilité publique pour les associations et les fondations est actualisée, se conformant ainsi à la pratique[13].
Le fait de disposer d’une liste exhaustive de documents à transmettre est gage de sécurité juridique pour les demandeurs. Cependant, les informations demandées sont parfois très (voire trop) précises.
En particulier, s’agissant des membres personnes physiques de l’association, le décret exige désormais – outre l’indication de leur nationalité, leur profession et leur domicile – leur nom, leur prénom et leur pays de résidence. Et pour les membres personnes morales, le décret exige désormais d’indiquer le nom de leur représentant légal ainsi que la liste des membres de leurs conseil d’administration et bureau en sus de leur nom, leur objet, et leur siège.
Rappelons que le nombre de membres est l’un des critères d’appréciation de l’opportunité de la reconnaissance d’utilité publique (200 minimum ou 80 minimum pour une fédération). Il convient donc de s’assurer de la réalité de ces adhésions. Néanmoins, la collecte de ces informations risque d’être fastidieuse, de se voir opposer le refus des personnes concernées et ne paraît pas aller dans le sens d’une simplification.
De la même manière, les fondations doivent transmettre la liste des personnes pressenties pour le premier conseil d’administration ou de surveillance, avec indication, pour les personnes physiques, de leurs nom, prénom, date de naissance, nationalité, profession, domicile et pays de résidence, et, pour les personnes morales, de leur dénomination, de leurs représentants et de l’adresse de leur siège social. Pour chacune des personnes pressenties, est joint un document manifestant son accord daté et signé par l’intéressé ou, s’agissant d’une personne morale, par son représentant légal. La simplification ne semble pas non plus ici au rendez-vous.
Le contenu des statuts des associations et fondations reconnues d’utilité publique est également harmonisé : objet, moyen d’action, règles d’organisations et de fonctionnement notamment la composition, les modalités de fonctionnement et les attributions non décisionnelles des comités consultatifs permanent chargés d’assister les organes décisionnaires, les « règles déontologiques applicables » (le texte ne précisant pas l’étendue de ces règles qui pourraient, selon nous, relever d’un règlement intérieur).
Le décret harmonise en outre la liste des documents à transmettre au préfet chaque année dans les 6 mois de la clôture de l’exercice : les comptes annuels, et le cas échéant le rapport du commissaire aux comptes ainsi que le rapport d’activité.
Le rapport d’activité contient :
- un compte-rendu de l’activité de l’organisme qui porte tant sur son fonctionnement interne que sur ses rapports avec les tiers ;
- la description des actions d’intérêt général financées par l’organisme ainsi que leurs montants (cette formulation peut paraître surprenante pour une association qui a vocation à être opérationnelle plutôt qu’à soutenir des activités d’intérêt général) ;
- la dénomination, l’adresse du siège social, l’adresse électronique, les coordonnées téléphoniques et la nature des personnes morales bénéficiaires des financements de l’organisme et les montants des redistributions versées dans le cadre de ses missions d’intérêt général ;
- pour une fondation d’entreprise qui perçoit des dons effectués par les salariés, mandataires sociaux, sociétaires, adhérents ou actionnaires de l’entreprise fondatrice ou des entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise fondatrice, le montant des dons collectés et les moyens utilisés pour la collecte[14].
Spécificité des fondations reconnues d’utilité publique, celles-ci sont tenues de transmettre à la préfecture les procès-verbaux de chaque conseil d’administration ou de surveillance au plus tard dans le mois suivant leur approbation.
Cette dernière exigence nous paraît excessive à deux titres : d’une part, l’Etat est en principe informé de la teneur de ces délibérations puisqu’il est représenté dans ces instances par un commissaire du gouvernement ou par un collège des membres de droit ; d’autre part, le décret impose désormais que les statuts des fondations et associations reconnues d’utilité publique prévoient « L’engagement de transmettre par tout moyen tout document permettant d’appréhender le fonctionnement de la fondation, sur réquisition du préfet de département ou du ministre de l’intérieur ».
Pour conclure, il convient de noter que cette harmonisation a été pour partie imposée par l’Union européenne. Prenant acte de la 4ème Directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le décret définit les bénéficiaires effectifs devant faire l’objet d’une déclaration à savoir « toute personne exerçant des fonctions d’administrateur, des fonctions de surveillance ou des fonctions de direction » [15] ainsi que la liste des données exigées à savoir les nom, prénom, date de naissance, nationalité, profession, domicile et pays de résidence. Au titre de la nature des intérêts effectifs détenus dans l’organisation, la déclaration précise la qualité au titre de laquelle ces personnes exercent des missions d’administration, de surveillance ou des missions de direction[16]. Nous nous étonnons de cette nouvelle définition dans la mesure où l’article R. 561-3 du code monétaire et financier était suffisamment précis sur le sujet. En outre, il conviendra de préciser les modalités de déclaration (dans quel registre ? à quel coût ?).
Notons enfin que le décret du 5 juillet 2024 est entré en vigueur le 8 juillet 2024. Il est applicable :
- aux associations et fondations qui présentent une demande de reconnaissance d’utilité publique ou une demande de modification statutaire à compter du 8 juillet 2024 ;
- aux déclarations de legs et donations en faveur d’Etats ou d’établissements étrangers effectuées à compter du 8 juillet 2024.
Le décret n°2004-720 du 5 juillet 2024 apporte une réelle simplification des démarches des organismes philanthropiques (associations et fondations reconnues d’utilité publique, fondation d’entreprise, fonds de dotation) en imposant la dématérialisation des procédures. Le décret présente également l’intérêt d’harmoniser les pratiques entre ces différents organismes et offre plus de sécurité juridique à ces organismes. Enfin, quelques mesures de simplification sont proposées notamment pour les fondations d’entreprise. Une simplification en demi-teinte toutefois au regard de certaines mesures (simple déclaration suivie d’une approbation, délai raccourci mais pouvant être prorogé) et au regard des contraintes nouvelles imposées aux organismes sans but lucratif.
Il convient désormais d’aller plus loin dans l’évolution de la procédure de reconnaissance d’utilité publique et de s’intéresser à la notion même de cette reconnaissance ainsi que nous avions pu l’évoquer dans notre note de constat établie avec le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF).
Références
Décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (notamment articles 10 et suivants)
Décret n°91-1005 du 30 septembre 1991 pris pour l’application de la loi n° 90-559 du 4 juillet 1990 créant les fondations d’entreprise et modifiant les dispositions de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat relatives aux fondations
Décret n°92-1011 du 17 septembre 1992 relatif au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique
Décret n°2007-807 du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte et portant application de l’article 910 du code civil (notamment chapitres II et II bis)
Décret n° 2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation
Sarah BERTAIL Directrice juridique et affaires publiques |
Pauline Hery chargée d’affaires publiques |
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[1] Article 6-1 du décret du 16 août 1901.
[2] Article 9-7 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007.
[3] Article 13-1 du décret du 16 août 1901 pour les ARUP ; article 9 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007 pour les FRUP.
[4] Idem.
[5] Article 13-2 du décret du 16 août 1901 pour les ARUP ; article 9-3 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007 pour les FRUP.
[6] Articles 6 et 14 du décret du 30 septembre 1991.
[7] Article 3 du décret du 30 septembre 1991.
[8] Articles 10 et 11 du décret du 30 septembre 1991.
[9] Article 6-2 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007.
[10] Idem.
[11] Article 6-3 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007.
[12] Article 8 du décret n°2009-158 du 11 février 2009
[13] Article 11 du décret du 16 août 1901 pour les ARUP et article 9-1 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007 pour les FRUP.
[14] Article 13-3 du décret du 16 août 1901 pour les ARUP ; article 16 du décret du 30 septembre 1991pour les fondations d’entreprise ; article 6-11 du décret du 11 mai 2007 pour les FRUP.
[15] Article R. 561-3 du code monétaire et financier.
[16] Article 3 du décret du 16 août 1901 pour les ARUP ; article 9 du décret du 30 septembre 1991pour les fondations d’entreprise ; article 6-12 du décret du 11 mai 2007 pour les FRUP.