Association en liquidation judiciaire
Publié le 13.06.2023
Rappel de la notion de gestion de fait et analyse de la responsabilité pour insuffisance d’actifs des dirigeants bénévoles
L’association en situation de cessation de paiement, en tant que personne morale de droit privé, relève du droit des procédures collectives. Dans ce cadre, les dirigeants de droit ou de fait de l’association peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils ont commis des fautes de gestion qui ont contribué à cette insuffisance d’actifs.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 16 mai 2023 (CA Versailles, 13e ch., 16/05/2023, n° 22/06770) nous apporte un éclairage sur la notion de dirigeant de fait (I) et sur les conséquences du statut bénévole du dirigeant associatif sur l’analyse de sa responsabilité pour insuffisance d’actifs (II).
Les critères de la gestion de fait : la nécessité d’une activité positive de gestion exercée en toute indépendance
Dans cette affaire, un établissement scolaire constitué sous la forme associative était en cessation de paiement et a été mis en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire en charge de la procédure a exercé une action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre du président de l’association, dirigeant de droit, et de son directeur, estimant que ce dernier était un dirigeant de fait.
La cour d’appel de Versailles revient à cette occasion sur la notion de gestion de fait et définit celle-ci comme l’exercice en toute indépendance d’une activité positive de gestion ou de direction, étant précisé que la preuve de la gestion de fait incombe au demandeur à l’action en responsabilité (ici, le liquidateur judiciaire).
Le juge rappelle que la notion d’activité positive de gestion ou de direction doit s’apprécier au regard de la fonction exercée et des missions qui y sont associées.
En l’espèce, les missions du directeur, salarié de l’établissement, étaient principalement orientées vers la pédagogie, l’éducation et les contraintes organisationnelles. Les actes de gestion identifiés par le liquidateur judiciaire (signature des contrats de travail avec certains enseignants, contacts réguliers avec l’académie…) s’exerçaient, selon la Cour, dans le cadre des fonctions salariées du directeur.
Pour les missions qui ne sont pas directement liées à la fiche de poste, il convient de vérifier si celles-ci étaient exercées en toute autonomie par le directeur. En l’espèce, ces missions annexes étaient encadrées par le président de l’association, des délégations de pouvoir ayant été signées à cet effet (pour la signature sur le compte bancaire pour les frais du quotidien et d’urgence par exemple).
Au regard de ces éléments, le juge indique que les indices relevés par le liquidateur judiciaire sont insuffisamment précis et ne permettent pas de démontrer l’existence d’une gestion de fait assurée en toute autonomie et indépendance. En effet, un contrôle était exercé par le président de l’association sur l’ensemble des missions du directeur, soit du fait du lien de subordination induit de la fonction salariée de ce dernier (contrat de travail) soit en vertu de délégations de pouvoir.
- L’analyse du caractère intéressé ou désintéressé de la gestion d’un organisme doit prendre en compte la rémunération des dirigeants de droit ou de fait. Ainsi que le rappelle l’administration fiscale, la notion de dirigeant de droit est la même qu’en droit des sociétés (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20-20170607, n°380).. C’est là tout l’intérêt de la décision que nous vous relatons ici.
La responsabilité pour insuffisance d’actifs du dirigeant associatif : une appréciation à nuancer en cas de gestion bénévole
Dans l’objectif de favoriser la prise de responsabilité associative, la loi n° 2021-874 du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif est venue pondérer la responsabilité pour insuffisance d’actifs en fonction du statut bénévole du dirigeant (art. L. 651-2 du C. com).
Jusqu’alors, en cas d’association en liquidation judiciaire, la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant s’appréciait de la même manière, qu’il soit rémunéré ou non (voir en ce sens : C.cass, Ch. Com., 9/12/2020, n° 18-24.730). Par ailleurs, seul le dirigeant de société, à l’exclusion des dirigeants de toute autre personne morale, pouvait se voir exonérer de toute responsabilité en cas de simple négligence dans sa gestion.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi susvisée,
- Le dirigeant d’une association bénéficie de la même exonération de responsabilité en cas de simple négligence dans sa gestion.
- Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association non fiscalisée, c’est-à-dire non assujettie aux impôts commerciaux, le tribunal saisi d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actifs doit apprécier l’existence d’une faute de gestion en fonction de la qualité de bénévole du dirigeant.
Ces règles s’appliquent indifféremment aux dirigeants de droit et de fait.
Cette affaire nous apporte une illustration des modalités pratiques d’application de cette évolution législative.
En premier lieu, il est rappelé par la Cour qu’il convient de s’assurer du caractère bénévole de la gestion de l’association, étant précisé que si le président d’une association loi 1901 est en principe bénévole, une tolérance fiscale autorise les associations à rémunérer leurs dirigeants sous certaines conditions (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20-20170607, n° 90 et suivants).
En l’espèce, le président de l’association ne percevait aucune rémunération.
En second lieu, la qualité de bénévole du dirigeant est prise en compte à deux niveaux :
- Pour caractériser l’existence même d’une faute de gestion :
En l’espèce, l’existence de fautes de gestion n’est pas remise en cause par la Cour (non-paiement caractérisé de dettes sociales et poursuite d’une activité déficitaire).
Au regard de la gravité des fautes commises et de leur persistance, le fait que le dirigeant ait été bénévole ne permet pas ici d’écarter la faute de gestion.
- Le cas échéant, pour nuancer la sanction prononcée à l’encontre du dirigeant :
Si une faute de gestion est retenue par le tribunal, la sanction prononcée doit être proportionnée à la gravité des fautes commises et à la situation du dirigeant.
En ce sens, la Cour d’appel de Paris soulignait que la modification de l’article L. 651-2 du Code de commerce « doit conduire à une application moins rigoureuse des fautes de gestion pouvant être reprochées aux dirigeants bénévoles, certains ne disposant pas des compétences techniques requises ou du personnel en capacité d’assurer la gestion financière de l’association, de plus en plus complexe ». (CA Paris, pôle 5 ch. 9, 8 sept. 2022, n° 22/01509).
En conclusion, la qualité de bénévole n’a pas pour effet d’exonérer totalement de responsabilité le dirigeant associatif. En revanche, elle permet une appréciation plus souple des fautes de gestion, notamment en limitant le montant de l’insuffisance d’actif supportée par le dirigeant.
Références sur l’association en liquidation judiciaire :
- Cour d’appel de Versailles, 13e chambre, 16 mai 2023, n° 22/06770
- Article L. 651-2 du Code de commerce
Sarah Bertail Directrice juridique et fiscale |
Anouk MARCHALAND Collaboratrice juridique |
Pour suivre les actualités juridiques et fiscales du secteur, rendez-vous ici et abonnez-vous à notre newsletter ici.