Association bénéficiaire d’un legs : la protection des animaux revêt-elle un caractère philanthropique ?
Publié le 24.07.2024
Dans un arrêt du 31 mai 2024, le Conseil d’Etat s’est interrogé sur la possibilité d’inclure la protection des animaux au sein des activités d’intérêt général à caractère philanthropique. La Haute juridiction a finalement retenu une interprétation restrictive : une association agissant exclusivement pour la protection des animaux n’exerce pas une activité philanthropique. Décryptage de cette décision.
Les associations simplement déclarées peuvent recevoir des libéralités, sous certaines conditions
On le rappelle, depuis une ordonnance du 28 juillet 2005[1], les associations n’ont plus à demander l’autorisation du préfet pour recevoir une libéralité (donation ou legs) mais doivent simplement la déclarer au préfet qui dispose d’un droit d’opposition dans les quatre mois de la réception de la déclaration[2].
On le rappelle également, depuis la loi ESS du 31 juillet 2014[3], une association simplement déclarée dispose de la capacité juridique de recevoir des libéralités sous certaines conditions[4] :
- elle existe depuis au moins trois ans ;
- elle exerce des activités d’intérêt général au sens de l’article 200, 1, b du Code général des impôts (CGI). Il s’agit des activités qui revêtent un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises et, depuis le 1er janvier 2024, les activités concourant à l’égalité entre les femmes et les hommes.
C’est la nature des activités d’intérêt général, et plus particulièrement la notion de « caractère philanthropique », que questionne le Conseil d’Etat dans un arrêt du 31 mai 2024 (requête n°466731),
Rappel des faits
Dans cette affaire, la «Ligue française contre la vivisection et l’expérimentation sur l’homme et l’animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives» (LFCV), association créée en 1956, est bénéficiaire d’un legs, qu’elle accepte en 2019. Conformément à la règlementation applicable, elle en informe le préfet.
Le préfet de Paris décide de s’opposer à la reconnaissance de la LFCV dans la catégorie des associations d’intérêt général, privant ainsi d’effet la libéralité consentie au profit de cette association. L’association demande au Tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision d’opposition du préfet.
Le litige né de cette affaire est ensuite successivement porté devant la Cour administrative d’appel de Paris et le Conseil d’Etat.
La question posée à ces différentes juridictions est la suivante : l’activité d’une association dont l’objet est la protection animale revêt-elle un caractère philanthropique ?
Dans l’affirmative, l’association exerce une activité d’intérêt général et peut recevoir des libéralités dans les conditions visées ci-dessus. Dans la négative, l’association ne peut pas recevoir de libéralités.
Qu’est-ce qu’une activité à caractère philanthropique ? Deux analyses possibles
Dans cette affaire, deux positions s’opposent.
D’un côté, la Cour administrative d’appel estime que les actions de l’association « présentent de par leur objet qui est de mettre fin aux souffrances résultant des expérimentations menées sur les animaux, en sensibilisant le public à ces souffrances et en encourageant la recherche scientifique à développer des méthodes de recherches substitutives permettant l’abandon de l’expérimentation sur l’animal, un caractère “philanthropique” et d’intérêt général au sens et pour l’application du b) du 1 de l’article 200 du code général des impôts »[5].
De l’autre côté, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer considère que les activités de protection des animaux ne sont pas des activités philanthropiques. Faisant notamment référence à l’origine grecque « anthropos » du mot qui signifie « humain », le ministère estime que la philanthropie concerne uniquement le genre humain, à l’exclusion des animaux.
Il appartenait donc au Conseil d’Etat de retenir une appréciation étroite ou au contraire extensive des activités d’intérêt général ayant un caractère philanthropique.
La philanthropie ne concerne-t-elle que les hommes, à l’exclusion des animaux ?
Dans ses conclusions, le rapporteur public Laurent DOMINGO revient sur l’élargissement progressif de la capacité à recevoir des libéralités dont ont bénéficié les associations simplement déclarées au fil des lois : les associations ayant pour but exclusif l’assistance et la bienfaisance en 1933, puis celles ayant pour but exclusif la recherche scientifique et médicale en 1987.
Par la suite, la loi ESS précitée de 2014 a étendu la capacité à recevoir des libéralités aux associations d’intérêt général ayant pour objet l’un des critères énumérés à l’article 200 du CGI.
La protection des animaux n’est explicitement visée par aucun de ces textes.
Pourtant, c’est un sujet dont le législateur se préoccupe. Ainsi, la loi de finances pour 2000 a introduit l’exonération de droits de mutation à titre gratuit des dons et legs aux organismes reconnus d’utilité publique dont les ressources sont affectées à la protection des animaux. Selon le rapporteur MIGAUD, l’Assemblée nationale « a vu, dans cette mesure, une reconnaissance de l’utilité sociale du mécénat en faveur des associations de protection des animaux »[6].
De son côté, la doctrine fiscale a admis que la défense de l’environnement naturel recouvre notamment la protection de la faune et de la flore sauvages et de la biodiversité[7] sans pour autant se prononcer sur la question de savoir si la protection animale entre dans le champ de l’article 200 du CGI.
Néanmoins, en l’espèce, la voie de la protection de l’environnement naturel, qui est également l’un des critères visés par l’article 200 du CGI, n’est pas explorée par les différentes juridictions.
Au terme de son analyse et contre l’avis du rapporteur public, le Conseil d’Etat rejoint la vision restrictive défendue par le ministre de l’Intérieur, selon laquelle la philanthropie est réservée aux seuls êtres humains, à l’exclusion des animaux. En effet, le Conseil d’Etat relève que les activités de l’association sont principalement, voire exclusivement, consacrées à la protection animale et tout particulièrement à la lutte contre la vivisection animale. Selon la Haute juridiction, en l’état de la législation applicable, une association ayant pour seul objet la protection animale ne peut être regardée comme ayant un objet à caractère philanthropique au sens du b) du 1° de l’article 200 du CGI.
Il est par ailleurs rappelé que les activités de l’association ne présentaient pas non plus, contrairement à ce qu’elle soutenait, un caractère éducatif ou scientifique, en l’absence d’activités propres d’enseignement ou de recherche scientifique.
Le Conseil d’Etat en conclu que la décision par laquelle le préfet de Paris s’est opposé à la reconnaissance de l’association LFCV dans la catégorie des associations d’intérêt général pour l’application de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 était fondée.
Une interprétation extensive de la philanthropie est-elle possible ?
Selon les conclusions du rapporteur public, une conception alternative et extensive de la philanthropie est possible : il conviendrait d’inclure dans cette notion les activités qui visent à améliorer la condition humaine. Or, toujours selon les conclusions du rapporteur, la prise en considération du bien-être animal peut aussi contribuer à améliorer les humains. Dès lors, une association qui à travers la cause animale défend aussi le bien-être de l’homme devrait être qualifiée de philanthropique. Cette conception du terme philanthropique est possible « et même souhaitable » selon le rapporteur public.
Cette position impliquerait la modification des textes en vigueur (articles 200 et 238 bis CGI) ou a minima une révision de la doctrine fiscale.
Références :
Myriam JALIL, stagiaire juriste
Anouk MARCHALAND Juriste |
Sarah BERTAIL Directrice juridique et affaires publiques |
[1] Ordonnance n° 2005-856 du 28 juillet 2005 portant simplification du régime des libéralités consenties aux associations, fondations et congrégations, de certaines déclarations administratives incombant aux associations, et modification des obligations des associations et fondations relatives à leurs comptes annuels.
[2] Articles 1 et 2 du décret n°2007-807 du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte et portant application de l’article 910 du code civil
[3] Loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire
[4] Article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association
[5] CAA de PARIS, 1ère chambre, 23 juin 2022, 21PA00425
[6] Rapport n°2029 de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (après commission mixte paritaire), tome I.
[7] BOI-IR-RICI-250-10-20-10, 27/06/2024, §150