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Le rétrécissement de l’espace civique en Europe – Regard sur la Slovaquie #2

Publié le 21.01.2025

L’organisation européenne European Fundraising Association (EFA) publie une série d’articles « Spotlight on civic space » qui explore la tendance et l’impact du rétrécissement de l’espace civique à travers l’Europe, ainsi que ces conséquences sur la générosité et la réponse du secteur associatif et fondatif à ces défis. Dans ce second article, Eduard Marek, Président du Slovak Fundraising Centre, partage ses réflexions sur la situation actuelle en Slovaquie.

 

En octobre 2023, le gouvernement de Robert Fico est revenu au pouvoir en Slovaquie pour la quatrième fois. Ce « social-démocrate slovaque » autoproclamé a formé une coalition avec des ultra-nationalistes et un parti dirigé par son ancien mandataire. Leur campagne électorale s’est appuyée sur la désinformation, la peur et la polarisation de la société. A l’agenda du gouvernement : une volonté de représailles, visant à neutraliser les tentatives de poursuites contre Fico, ses alliés et les oligarques associés pour corruption.

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement a lancé une attaque immédiate et agressive contre les institutions. Les organismes chargés de l’application de la loi ont été pris pour cible, tout comme les enquêtes en cours sur la corruption, fragilisées par des changements radicaux du Code pénal. Ces actions menacent les fondements de l’État de droit, de la justice et de la démocratie.

Les mesures répressives s’étendent à plusieurs secteurs. Les institutions indépendantes sont affaiblies, l’audiovisuel public a été démantelé, et les médias privés font face à des menaces et des intimidations. Des dirigeants et experts sont massivement évincés. Les institutions culturelles et artistiques, telles que la Galerie Nationale et le Théâtre National, sont directement impactées, tout comme les organisations de protection de l’environnement. Les politiques qui diminuent la protection des réserves naturelles et autorisent des abattages excessifs d’animaux sauvages, tels que les ours et les loups, renforcent les préoccupations environnementales. Les minorités subissent une discrimination intensifiée. La rapidité et l’ampleur de ces changements sont sans précédent, avec des conséquences à long terme pour la stabilité démocratique de la Slovaquie.

 

La société civile attaquée

La société civile et les organisations non gouvernementales (ONG) n’ont pas été épargnées. Elles ont même été désignées comme des ennemis publics, en particulier les organismes de surveillance, les Think Tanks et les organisations de plaidoyer, qualifiés de «?ONG politiques?» et accusées d’ingérence dans la politique. Pour la première fois depuis la transition de la Slovaquie après le communisme, la société civile a été exclue du processus d’élaboration du programme gouvernemental.

Une série de mesures visant à restreindre les activités des ONG a également été proposée. Jusqu’à présent, les réactions publiques et médiatiques ont permis d’éviter que les réformes les plus draconiennes ne se concrétisent, mais les attaques verbales contre la société civile se poursuivent sans relâche. On tente notamment de qualifier les ONG «?d’agents étrangers?» ou «?d’organisations soutenues par l’étranger?». La crainte de perdre des financements européens – à l’instar du précédent établi par la Cour de justice de l’Union européenne en Hongrie – a jusqu’ici empêché la Coalition de s’accorder sur une législation concrète. Le gouvernement envisage toutefois des approches plus subtiles, comme des propositions visant à classer les ONG comme des lobbyistes soumis à des réglementations spécifiques et à un contrôle accru.

Des restrictions financières ont également été imposées?: les subventions vers les organisations de défense des droits humains, des personnes LGBTIQ+ et des autres minorités, les organisations de plaidoyer, ainsi que les projets culturels, ont été sévèrement réduites. Des tentatives visant à limiter les mécanismes d’affectation fiscale (permettant aux particuliers et aux entreprises de donner un pourcentage de leur impôt sur le revenu aux ONG) ont été proposées mais finalement abandonnées. Par ailleurs, les organisations de la société civile se retrouvent exclues des processus décisionnels, lesquels leur permettaient auparavant d’influencer les politiques et la gouvernance.

L’accès du public à l’information et la participation aux processus décisionnels sont également restreints, marginalisant davantage le rôle de la société civile dans la gouvernance.

 

Réactions de la société civile et résistance

Malgré l’offensive, ces mesures restrictives ont déclenché une résistance de la société civile.  Des manifestations massives, des grèves et des pétitions ont reflété une insatisfaction croissante et une polarisation accrue, aboutissant finalement à une tentative d’assassinat contre le Premier ministre Fico en mai 2024.

Le secteur associatif a refusé de céder face aux mesures restrictives du gouvernement. Il a, au contraire, répondu par une mobilisation et une collaboration accrues. De nouvelles coalitions plaidant pour la démocratie, la préservation culturelle et la protection de l’environnement ont commencé à émerger. Les campagnes de financement participatif sont devenues une forme visible de protestation, permettant aux citoyens de faire entendre leur voix et d’exercer une influence.

Un exemple frappant de cette mobilisation a été la campagne «?Des munitions pour l’Ukraine?». En réponse à la décision du gouvernement de suspendre l’aide militaire officielle à l’Ukraine, les Slovaques ont collecté 4,7 millions d’euros auprès de plus de 70?000 donateurs .

De même, lorsque des journalistes de la principale chaîne de télévision privée slovaque, Markíza, ont protesté contre des ingérences éditoriales, des figures clés ont été licenciées. Parmi elles se trouvait le présentateur politique le plus influent du pays, qui a ensuite lancé 360°, une plateforme d’information indépendante en ligne. Soutenue par une campagne de financement participatif réussie ayant récolté 593?704?€, la plateforme a rapidement gagné en popularité.

Des dizaines d’initiatives similaires de financement participatif ont permis de soutenir des initiatives culturelles, des organismes chargées de l’application de la loi, de la surveillance des médias, de la lutte contre la désinformation ainsi que des campagnes anti-corruption.

Ces initiatives témoignent de la détermination du public à résister aux efforts du gouvernement pour étouffer la démocratie et les libertés civiles.

 

Un combat pour la démocratie

La société civile en Slovaquie fait preuve de résilience. Alors que les mesures répressives du gouvernement mettent à l’épreuve les fondements démocratiques de la nation, la réponse de la population illustre un engagement ferme en faveur de la préservation des libertés et des droits humains. Les citoyens font entendre leur voix, et leurs efforts collectifs constituent un contrepoids redoutable face aux tendances autoritaires du gouvernement.

La mobilisation en Slovaquie met en lumière le pouvoir de l’activisme et du financement indépendant (notamment participatif) comme outils pour protéger la démocratie. Elle pourrait servir d’inspiration à d’autres pays confrontés à des gouvernements répressifs.

Article issu du site de l’EFA, rédigé par Eduard Marek et traduit en français par Pauline Hery, chargée de plaidoyer chez France générosités.

 

France générosités et l’Association françaises des Fundraisers sont membres de l’EFA pour la France. France générosités pilote le groupe dédié aux affaires publiques.

Image générée par ChatGPT selon une description fournie par France générosités.

 


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