Le sort fiscal des produits-partage est-il définitivement scellé ?
Publié le 12.06.2012
Le Conseil d’État a rendu un arrêt le 15 février 2012 qui a suscité quelques inquiétudes du côté des associations et fondations.
Cette décision porte en effet sur la qualification fiscale des produits-partage, sujet compliqué et très discuté, et pour lequel aucune position claire de l’administration fiscale, quoique sollicitée à plusieurs reprises par France générosités, n’existe à ce jour.
Nous vous livrons l’analyse juridique et fiscale -plutôt rassurante- de cette décision par Sandrine Marion-Goater, avocate au Barreau de Paris et spécialiste de ces questions. Par ailleurs, France générosités organisera pour ses membres une réunion de réflexion sur ce thème le 9 juillet.
LE SORT FISCAL DES PRODUITS-PARTAGE EST-IL DEFINITIVEMENT SCELLE ?
La décision du Conseil d’Etat du 15 février 2012 (n°340855) a-t-elle disqualifié toutes les opérations de produits-partage en retenant que ces dépenses avaient été engagées dans l’intérêt de l’entreprise défenderesse et relevaient, à son niveau, de la qualification de dépenses de parrainage (article 39 du Code général des Impôts (CGI)) et non de celle de mécénat (article 238 bis du CGI) ?
L’enjeu de cette qualification est important, non seulement pour l’entreprise, mais par ricochet, pour les organismes sans but lucratif bénéficiaires des versements. L’administration retient en effet généralement le principe de parallélisme entre le traitement fiscal au niveau de l’entreprise qui réalise la dépense (parrainage) et l’organisme bénéficiaire des versements, qui est alors supposé réaliser une opération publicitaire (conduisant à son niveau à une taxation de ces recettes aux impôts commerciaux). Ce point n’a toutefois pas été tranché par la haute juridiction.
Si l’arrêt du Conseil d’Etat a le mérite de rappeler les risques fiscaux liés aux opérations de produits-partage et d’attirer l’attention sur la nébuleuse frontière entre le mécénat et le parrainage, il apparait toutefois que cette décision de justice a été rendue sur le fondement de faits très spécifiques à l’espèce jugée.
L’affaire soumise au Conseil d’Etat concernait en effet le cas d’une société qui commercialisait des matériels de bureau et d’articles d’hygiène auprès de professionnels envers lesquels elle s’engageait à reverser à des associations humanitaires un pourcentage des achats facturés. Les clients étaient informés de la nature et du montant de ces reversements par le biais des conditions générales de vente. Le nom de l’organisme bénéficiaire, l’objet du projet financé et le montant total de ce projet étaient, quant à eux, mentionnés directement sur les factures de vente. Pour ces dépenses puissent être considérer comme du parrainage (à l’époque plus favorable fiscalement que le mécénat), la société soutenait que les versements avaient été effectués dans son strict intérêt commercial, puisque hors ces partenariats noués avec les organismes caritatifs, elle aurait été dans l’impossibilité de vendre ses produits à un prix plus élevé que celui pratiqué par ses concurrents et d’augmenter ainsi sensiblement son chiffre d’affaires. La société arguait, en outre, que le seul but poursuivi par cette stratégie était commercial et sans lien avec la notion de don. Les juges d’appel ont retenu cette qualification, qui n’a pas été remise en question devant le Conseil d’Etat qui rappelle que sa décision est fondée sur une appréciation souveraine des faits de l’espèce par la Cour d’appel, non entachée de dénaturation.
L’absence d’intention libérale de cette société, telle qu’établie par les juges du fond, ne pouvait en l’occurrence conduire à une autre qualification juridique que celle de parrainage.
On peut toutefois penser que, dans certaines circonstances, l’intention libérale d’une entreprise pourra être démontrée dans le cadre d’opérations de produits-partage, notamment quand l’entreprise s’engage à verser un don minimum indépendant du pourcentage prélevé sur les recettes générées par la vente du produit et n’augmente pas le prix de vente dudit produit (le versement étant pris sur la marge de l’entreprise)…
En tout état de cause, l’organisme sans but lucratif devra être vigilant et exiger de l’entreprise la rédaction d’une convention de produit-partage très encadrée et sécurisée, visant à figer l’opération dans sa logique de mécénat et à établir en amont les modalités pratiques de sa réalisation.
En conclusion et tant que le législateur ou l’administration fiscale n’aura pas pris de décision expresse contraire, les opérations de produit-partage devraient pouvoir, sous certaines conditions et particulièrement, que l’intention libérale soit incontestable, continuer à relever du régime fiscal du mécénat.
Sandrine MARION-GOATER